Coram (ou Maroc à l’envers)

Difficile de rendre justice à ce pays par quelques lignes sans tomber dans le piège des préjugés opiniâtres de l’Occidental face à cette culture majestueuse, au spectacle parfois désolant. Elle impressionne par ses vestiges impériaux et le travail minutieux dont ils sont si finement ornementés, la cuisine, sublime, riche combinaison de saveur que l’on découvre, les paysages si variés vous font voyager en si peu de distance. Mais la pauvreté endémique démontre que cette culture, jadis, si florissante, a du mal à s’ériger.

C’est dans les méandres des souks, d’où, souvent, émane une odeur d’ordure et d’urine, que l’on est confronté à l’insistance des vendeurs. Dans un décor fascinant, dépaysant pour un Nord-Américain comme moi, élevé dans la ouate, les commerçants tentent, le sourire incrusté sur leur visage, de capter mon intérêt en faisant miroiter leur arsenal. S’il fallait que je boive leurs paroles, je serais convaincu d’avoir plus d’amis en ce pays du Maghreb que partout ailleurs sur la planète, tellement qu’ils s’approprient cette appellation affable. Presque indifférent à leurs interjections, restant caché derrière des verres fumés qui ne reflètent que leur désarroi, je déambule avec arrogance. Qui suis-je pour ne pas être intéressé à ramener un souvenir chez moi? Et même si je ne désirais rien, n’y aurait-il pas soit ma mère, mon père, ma soeur, un ami, une connaissance, ma voisine, son enfant ou la femme du dépanneur, qui mourraient d’envie que je lui ramène un petit quelque chose? Comment leur expliquer, malgré ma provenance, que je ne suis pas un consommateur compulsif? Que je ne suis pas constamment en mode achat, que je ne m’encombre pas d’objets et que je ne vois pas l’intérêt d’en ramener pour les gens que je connais? Je sais, je suis ingrat, j’ai la chance de venir d’un pays riche et je boude la misère, car je ne consomme pas de façon éhontée les mille et une productions de ce pays que les vendeurs s’acharnent à me vendre. Sachant que pour arriver à un prix convenable, si on refuse de céder à l’arnaque, on se doit d’entamer un processus de négociation qui peut s’avérer fastidieux. Évidemment, cela fait partie de la culture locale. Descendants des marchands caravaniers, hommes du désert qui bravaient ce sol hostile pour effectuer leur commerce, il doit leur en rester quelques réflexes. Détrompez-vous, je comprends leur acharnement. Ils doivent gagner leur croûte et leur tâche n’est pas facile. Il y a tant d’objets à vendre, les touristes sont nombreux, chacun veut en tirer le meilleur parti.

Modernité côtoie la religion : dans l’autobus, mon voisin manipulait abusivement son téléphone portable, en y faisant ressortir des sons lassants, contrastant avec l’homme assis dans le siège devant lui récitant à haute voix le Coran. Nombreuses jeunes femmes (magnifiques), se baladent en scooter les cheveux au vent, tandis que leurs aînés portent le hijab et dans quelques cas, surtout dans les régions plus retirées, le niqab. L’appel à la prière jaillit des minarets, et les antennes paraboliques envahissent les toits diffusant des téléréalités locales et des vidéoclips tout à fait originaux. En terre sobre, je n’ai pas uniquement croisé des étrangers saouls.

J’ai eu un certain mal à saisir cette culture, un point primordial en est la cause : la langue. Ne parlant pas arabe (et les langues berbères), j’étais contraint à comprendre ce que l’on voulait bien que je saisisse, me sentant, ainsi, en situation d’infériorité, n’ayant pas le contrôle sur l’information véhiculée. Ce qui me rendait, étrangement, moins réceptif. On parlait ma langue, mais on sautait à l’arabe avec ses compatriotes, sans nous en faire une traduction, ou elle se limitait à quelques mots malgré que l’entretien s’était étendu à plus d’une minute. Se répètent-ils sans cesse? On s’exprimait ensuite dans ma langue, mais je me sentais d’autant plus étranger, et non comme un ami. Je saisis l'importance de connaître l'idiome non seulement pour communiquer, mais pour mesurer toute la dimension culturelle qui s'y rattache et ce n'est malheureusement pas mes quelques jours au Maroc qui me le permirent, mis à part l'apprentissage de quelques mots de salutation et de politesse. Ainsi, un goût un peu amer m'est resté en bouche, de ne pas avoir pu goûter à pleines dents dans cette si riche culture.


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