Bolivie : La Paz

Elle repose dans une vallée à 3 600 mètres d’altitudes en son cœur. Tel un joyau, oublié dans les altitudes andines, elle rayonne par son unicité et sa richesse brute. Au loin, on pouvait voir la montagne Nevado Illimani où s’accrochaient des nuages lui donnant l’impression d’un volcan en éruption. Je me souviens du bourdonnement effarant de ses cars qui peinaient à monter les abruptes pentes, crachant, tel un cancéreux, une fumée noire qui stagnait, emprisonnée par les montagnes environnantes. Il était impressionnant de voir ces véhicules se croiser dans un fouillis total, sans se percuter. Transporté par ces ferrailles dans lesquels, entassé les uns sur les autres, je respirais l’odeur éthylique de la coca mastiquée par des dents verdissantes, je parcourais ces routes sinueuses à la découverte de cette cité.

Je m’engouffrai dans les rues labyrinthiques, sans quêtes précises, comme si j’espérais uniquement, par mon errance, me retrouver. Parmi les marchandes irritées par certains touristes qui se plaisaient à les statufier dans le temps à l’aide de leur appareil photographique, sans franchir le mur intangible qui les séparait, je me laissais transporter par ma curiosité, me traînant dans divers marchés et commerces locaux.

Je me souviens de ce soleil, jadis vénéré, rappelant sa puissance par son irradiation qui brûle l’épiderme de l’imprudent. Cruel et sournois, il pourrait provoquer l’irritation de ces victimes, mais ceux-ci se rétractent de tout comportement vindicatif lorsque celui-ci se retire pour plonger la ville en état de congélation. Ce froid percutant traversait les habitations craquantes et assaillait ses résidents qui, à défaut d’être équipés par des éléments chauffants, se couvraient d’épais vêtements. J’espaçais mes douches, sautant une journée, pour me sauver de l’eau glacée qu’on nous laissait, lorsqu’à l’auberge les gens matinaux avaient épuisé les réserves d’eau chaude.

Dans ce froid, accompagné de mon comparse et de deux citadines que nous avions rencontrées au cours de notre exploration, je découvris les joies de la cumbia dans un petit bar local à l’abri des touristes. De façon presque machinale, nous nous retrouvions sur la piste, formant deux lignes opposant les femmes des hommes. L’air répétitif et ennuyant préservait toute dérogation au platonisme. De retour sur les chemins cahoteux, des voyous trop saouls, pour pouvoir me rejoindre, tentaient, par des phrases mal articulées, de m’attirer à eux. Sans m’y attarder, je me dirigeai au centre, d’où jaillissaient de petits kiosques de nourriture. J’en profitai pour me goinfrer de frites et d’hambourgeois douteux dont la saveur répondait à mes standards sous l’état d’ivresse.

Contrastant avec le centre bourdonnant, non loin, la Valle de la luna nous offrit un spectacle unique. La terre y semblait meurtrie, écorchée, stigmatisée par le temps, mais aucune plainte n’émanait de cet endroit paisible, qui, à défaut d’avoir été épargné par la nature, le fut par l’homme.

Après ce bref refuge à l'abri de l’activité urbaine, où le silence, comme un manteau, enveloppait le site érodé, nous retournâmes à la fourmilière que nous avions délaissée l’espace d’un après-midi. Pourtant, parmi ce chaos de gens, de véhicules, assiégé par un tintamarre incessant, de cris, de grincement, de klaxons, de cette musique abrutissante, de ses commerçants insistants, au sein de la crasse, de la suie, de la pollution, entre ce soleil brulant et le froid cinglant, au sein de cette cité d’où les odeurs âcres jaillissaient de toutes parts, je ne me retrouvais aucunement exaspéré. D’une façon inexplicable, cette suractivité m’apaisait, je me fondais en elle et j’y respirais la vie. Du chaos naissait la paix, à La Paz.

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