Fatigant

Le plus petit pays de la terre de 0,44 km², où la foi devrait être à son apogée, ne peut déroger des lois de l’économie, déficitaire, se contraint à accueillir les curieux. Le Vatican compte 900 habitants, près de 3000 travailleurs étrangers et plus de 4 000 000 de visiteurs annuellement.

Pour moi, le Vatican a été une source d’irritation plutôt que d’inspiration. Trop de gens, entassés comme des moutons, se déplacent bêtement sans vraiment savoir où donner de la tête. D’ailleurs, j’en suis venu à une observation sur le mouvement des masses et de l’effet de la panique que pourrait avoir sur les gens. En général, les gens en foule s’abstiennent de toutes réflexions. Ils suivent les gestes des autres personnes devant eux, sans se demander si celles-ci savent ce qu’elles font. Elles-mêmes se conforment au même comportement, sans, non plus, savoir si les autres gens devant eux savent ce qu’ils font... ainsi de suite. Ce qui entraîne le comportement de troupeau que nous connaissons tous. La différence : c’est qu’il n’y a pas de leader à proprement parler. Le leader serait le système instauré et s’il n’est pas efficace, au moment d’une urgence et de panique, les gens, mal dirigés, fuiront dans tous les sens. Ceux qui garderont leur sang-froid et réfléchiront pourront opter pour une solution censée s’ils évitent le piétinement. D’où l’importance d’instaurer un bon système d’évacuation en cas d’urgence et un système de billetterie et de sécurité efficaces (dans le cas du musée du Vatican) pour améliorer la fluidité. En gros, le problème c’est qu’en foule, inconsciemment, la plupart des gens cherchent un leader, malheureusement absent, sinon le système qui est souvent mal exploité.

La quantité de visiteurs est impressionnante. La file d’attente pour le musée est énorme, peut-être 200 mètres et celle pour la basilique St-Pierre, encore plus longue. Les œuvres du genre classique du musée ne m’ont pas tellement touché. Il est vrai qu’elles sont impressionnantes et que leur exécution est exemplaire, mais puisqu’elles devaient répondre à une demande précise de l’autorité, il m’apparut qu’elles furent créées sous la contrainte, conséquemment, elles transmettaient peu d’émotions. En fait, elles m’apparaissent plutôt des représentations d’événements religieux que le contact spirituel que l’artiste ait pu ressentir avec la religion même. Par contre, dans la section des œuvres contemporaines, je ressentais que le style était plus personnel et empreint de passion. Étonnamment, ces œuvres n’attiraient pas le regard des curieux, qui passaient outre, posant à peine leurs yeux sur elles plus de deux secondes. Pourtant, dans un autre contexte, elles auraient suscité probablement plus d’intérêt. Qui auraient boudé des Chagals, un Dalí, un Bacon? Certes les œuvres n’étaient pas aussi grandes, aussi, le nom des artistes était discrètement inscrit. C’est en m’y intéressant et en m’y approchant pour en savoir les auteurs que je me rendis compte qu’il s’agissait de grands maîtres. C’est dans cette circonstance que j’ai réalisé que l’on peut facilement orienter le regard des gens. Il suffit de donner l’impression que les œuvres exposées ne sont pas d’une grande valeur en leur consacrant un coin de musée moins impressionnant, que les gens y verront, avant même d’avoir pris connaissance de ces compositions, des réalisations de second rang. Ça m’a fait réfléchir sur le réel intérêt et la curiosité que les gens portent sur l’art.

Je fus un peu choqué par le comportement irrespectueux de plusieurs personnes. Certaines photographiaient la chapelle Sixtine même si cela était clairement interdit, ou d’autres continuaient de parler à haute voix même si les enseignes demandaient le contraire. D’ailleurs, certaines personnes les appelaient à l’ordre, puis elles, s’en moquaient d’autant plus. Il va sans dire que l’ouvrage colossal de Michel-Ange impressionne et inspira mon respect pour la finesse de son exécution et la prouesse qu’elle représente (les représentations humaines peintes au plafond semblaient tombées, il y avait un étrange effet tridimensionnel). Pourtant, elle me laissa tout de même un peu indifférent.

Accéder à pied à la coupole de la basilique St-Pierre demande du souffle. Une personne âgée se prêtant à l’exercice pourrait y trouver son ciel.

Les tapisseries : un travail qui dépasse presque l’entendement. Dommage que des centaines d’années plus tard, elles ne peuvent que m’inspirer le respect et non l’admiration. Voici une drôle de coïncidence qui m’arriva dans un couloir où se retrouvaient plusieurs d’entre elles. Mes pas étaient limités par ceux de centaines de gens devant moi, m’irritant au plus haut point. Je me retourne vers une de ces tapisseries pour y lire le titre « le massacre des Innocents ». J’ai eu l’impression que l’être divin me fit un clin d’œil.

Brève réflexion : les gardes suisses sont-ils efficaces? Comment procèdent-ils à des arrestations? Les prend-on au sérieux, affublés de leurs vêtements ridicules et de leur hallebarde? Comment convainquent-ils les gens d’obéir à leurs ordres : « Au nom de la foi, je vous arrête! »?


Note sur Rome : Accoudé sur le comptoir d’un petit bar choisi au hasard dans l’attente de l’heure pour rejoindre ma cousine au point de rendez-vous, j’observais plusieurs gens allants et venants dans l’établissement ne restant qu’un instant le temps de boire un café, s’éclipsant aussitôt après leur gorgée.

Le barman, pas trop sympathique — sûrement qu’il avait ses raisons — bossait à bon rythme, 10 secondes (et peut-être moins) le temps qu’il lui fallait pour prendre une pause pour se jeter un café dans l’estomac, passant accessoirement dans l’œsophage. À un vieil homme, il lui versa un verre à l’œil, grossièrement, le remplissant généreusement de Vecchia Romagna. L’habitué le descendit en deux secondes (top chrono), puis se poussa en me prononçant deux mots d’italien que je ne pigeai pas. Le barman, toujours aussi sympathique, témoin de la scène, ne sentit pas la nécessité de me traduire les propos de l’homme et se barra lui aussi, pour fumer une cigarette. Le spectacle de la faune urbaine de ce quartier animé me divertit plus que le Vatican, qui me lassa.



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