Écu bas

Un peuple latin, au sang chaud, où la musique bat au rythme cardiaque, contraint à la frugalité par la rigidité d'un parti politique qui s'est fondu à l'image de celui qu'il détrôna : Cuba. Grossière impression que me laissa ce peuple renfrogné aux premiers abords, aux airs menaçants même, pourtant, libérant sa chaleur retenue en présence de l'étranger, si on s'en donne la chance.

Un pied déposé sur le sol de la vieille Havane, qu'un homme appâté se dirigea vers nous, affamé pécuniairement. Il se lança dans une petite explication, de l'itinéraire touristique à vélo qu'il nous proposa, qui se transforma en un exposé exhaustif, n'ayant pour effet que d'irriter ma partenaire. Bon joueur, amusé, il rit de cette authentique exaspération. Gentiment, je lui fis comprendre que cela ne nous intéressait pas pour le moment, rattrapant ma compagne qui s'était déjà enfoncée dans les décombres de la ville.

La Havane s'effrite et s'écroule, tout comme le régime, prenant ses dernières insufflations cancéreuses, abattue par une économie essoufflée ne pouvant reposer sur la valeur des cigares. Évidemment, Cuba produit plus que des Montecristo... entre autres, des médecins se hissant au premier rang mondial pour le nombre formé par habitant. Cuba est bel et bien sous une douce anesthésie : un régime étouffant la liberté de voir et penser le monde; des touristes s'échouant sur les plages, se gorgeant d'alcool et purgeant leur esprit.

Industrie du tourisme semble un mal nécessaire, mais elle entraîne l'île à la dérive de ses valeurs idéologiques. Un geste aussi dérisoire que le pourboire favorise certains postes clés hôteliers où on gagne, grâce à cet argent non comptabilisé, en quelques jours l'équivalent d'un mois de salaire. Créant, inévitablement de l'inégalité sociale qui croitra probablement avec le temps. Ce système que l'on préserva du mieux que l'on put se fera dévorer par un plus fort, omniprésent, gangréné. Heureusement, il y a des médecins à Cuba. Peut-être utiliseront-ils cette richesse humaine pour soigner leur voisin, pansant leurs blessures du passé, ces derniers en retour rassasieront la faim du futur des insulaires.

Dans l'enclos à touristes, barricadé pour mieux rôtir sur la plage, l'accès à la gastronomie brillait par son absence. Quoique tout est culturel, paraît-il, certains se rassasieraient donc de carottes et de petits pois au petit déjeuner? Nous nous contentions de bananes, d'œufs brouillés et de monticules de tranches de bacon. Notre escapade à La Havane fut notre rédemption et la réconciliation avec la nourriture cubaine, qui, jusqu'à présent, nous faisait fantasmer à la nourriture de cantine. De la langouste, prise dans un petit resto de quartier apparaissant derrière une porte de garage, recroquevillé sous une voûte, recommandée par notre aubergiste, au poulet finement assaisonné dans un restaurant chinois de la vieille Havane, nos papilles gustatives reprenaient leurs sens et offraient à notre voyage une autre dimension. Spectacle amusant le temps d'un repas : une vieille dame semblait tout bêtement se reposer devant son entrée, éventail en main, lorsqu'un homme s'en approcha, lui fila de l'argent, puis repartit avec un petit sac... Évidemment, on ne peut rien conclure, mais il est légitime de souligner l'étrangeté de cet échange prompt et discret.

Au milieu de ces bâtiments en totale décrépitude resurgissent quelques joyaux restaurés. La Havane a fait la guerre, un combat féroce à l'économie et elle a perdu. Les immeubles grugés du centre historique nous le rappellent. Abandonnés, pourtant habités. La beauté de la ville réside en cette nostalgie d'un passé glorieux qui, après s'être farouchement débattu, capitule paisiblement. Mais l'âme cubaine loin d'être défaite, vibre au son de la musique qui transporte la population.

Il est facile de tomber sous le charme paradisiaque de ses eaux turquoise, se prélasser sur la plage dorée, sirotant une piña colada, mais on renoncerait aux richesses offertes par cette île si on ne quittait pas le confort de l'hôtel.

Cuba, un rêve, un réveil et une vie à renaître.


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